Technology and competition - Technologie et concurrence. Contributions in honour of / Mélanges en l'honneur de Hanns Ullrich - Laurence Boy, Reto M. Hilty, Josef Drexl, Christine Godt, , Bernard Remiche, Editeur : Larcier, ISBN : 978-2-8044-3521-9, 746 pages
My book review (to be published in Revue Internationale de Droit Economique, 2010/2).
"On ne doute pas que les lecteurs découvriront avec beaucoup de plaisir et d’intérêt le liber amicorum Technology and Competition – Technologie et concurrence, dédié avec admiration et affection à Hanns Ullrich, rédacteur en chef de cette revue, Professeur au Collège d’Europe, Professeur émérite à l’Université de Munich et à l’Institut Européen de Florence, par des amis, des collègues et des anciens élèves à l’occasion de son 70ème anniversaire. Apparu sous la direction de Josef Drexl, Reto M. Hilty, Laurence Boy, Christine Godt et Bernard Remiche, cet ouvrage riche et passionnant rend un hommage sincère à cet éminent juriste au rayonnement européen et plus vaste encore.
Au cœur de la réflexion scientifique de Hanns Ullrich figurent la promotion du progrès technologique et la sauvegarde de la libre concurrence, deux enjeux juridiques et économiques majeurs annoncés par le titre même des Mélanges qui viennent de lui être offerts. Généralement, c’est le système de propriété intellectuelle, et plus particulièrement de propriété industrielle, qui est censé promouvoir le progrès technologique. La tâche de protéger le jeux de la concurrence dans toutes ces dimensions revient en revanche au droit de la concurrence. Toutefois, comme l’a rappelé dernièrement Hanns Ullrich dans les pages de cette revue, les deux corps de droit sont loin d’être parfaitement indépendants l’un de l’autre. Bien au contraire, l’octroi de droits exclusifs de propriété intellectuelle se doit d’être reconnu et éclairé avant tout par son intégration dans l’ordre concurrentiel de marché. Il n’est donc pas surprenant que le droit de la concurrence soit régulièrement appelé au secours, dans le but de corriger une insuffisance éventuelle du fonctionnement du système de protection de la propriété intellectuelle, surtout de « surprotection » allégée. Cependant c’est avant tout en formulant des limites intrinsèques à la protection qui soient efficaces et appropriés que le système de propriété intellectuelle est censé assurer sa fonctionnalité et songer à son acceptation.
De toute évidence, la tâche qui revient au droit de la propriété intellectuelle n’est pas facile à accomplir, comme en témoignent plusieurs des contributions rassemblées dans la première partie de l’ouvrage, intitulée «Trop de protection de la propriété intellectuelle?». Pour ce qui est par exemple du droit des brevets, face à un élargissement excessif de la définition d’invention brevetable, on aurait délaissé l’intérêt général au maintien du domaine public du savoir, c'est-à-dire de la source principale de nouvelles connaissances protégeables et non protégeables. Il en serait pas moins inquiétant pour les critères d’exception à la protection, trop souvent conçus d’une façon insuffisante et interprétés trop rigidement pour pouvoir offrir un remède efficace aux risques de « surprotection ». Par ailleurs, ainsi que la jurisprudence communautaire en matière de droit des marques l’a maintes fois accompli en s’appuyant sur le concept de « concurrence non faussée », dans plusieurs cas il suffirait probablement d’interpréter et d’appliquer le droit de la propriété intellectuelle dans une véritable perspective de libre concurrence. Mais il est aussi indéniable que depuis quelques années, comme soulignent plusieurs contributions, les technologies et de leurs besoins de protection changent plus rapidement que dans le passé et qu’il y a eu une transformation non négligeable des modes d’exploitation des droits de la propriété intellectuelles, il suffit de penser à la commercialisation de l’invention en tant que telle et à la exploitation sous forme immatérielle des œuvres protégés, par exemple les programmes d’ordinateurs. En outre, des nouveaux modèles économiques d’innovation ont émergé, voir par exemple le mouvement open source dans l’industrie de l’informatique. Par conséquent, le législateur pourrait être appelé à corriger les déficits systématiques de protection par modification de la réglementation-cadre avec plus de fréquence, mais aussi peut-être moins d’assurance, qu’auparavant.
Les contributions de la deuxième partie, intitulée « Protéger la concurrence », s’accordent pour souligner que le droit de la concurrence non plus n’est épargné par profondes mutations et tensions. D’une part, on assiste à une convergence assez poussée entre régimes nationaux de concurrence au sein de la Communauté Européenne, même si des différences, parfois « regrettables », résistent, par exemple le maintien, si ce n’est accentuation, du caractère politique du contrôle des opérations de concentration en France. De l’autre, on peut douter que l’approche dite « plus économique » du droit de la concurrence, affichée depuis plus d’une décennie par la Commission européenne, ait véritablement amené à une analyse des pratiques restrictives plus cohérente, rigoureuse et efficace. Ce qui est évident, en revanche, c’est que la nouvelle approche a servi parfois à légitimer une démarche « pro-active » de politique industrielle en vue d’objectifs préétablis. Or, il n’est pas surprenant de remarquer que parmi les amis et collègues de Hanns Ullrich plusieurs seraient favorables à une renaissance du concept de la « liberté de concurrence », si cher à la doctrine économique dynamique allemande et à l’école autrichienne.
La rencontre annoncée entre droit de la propriété intellectuelle et droit de la concurrence a enfin lieu dans la troisième partie de l’ouvrage (« Propriété intellectuelle et droit de la concurrence »). Traditionnellement, la politique communautaire de la concurrence s’est beaucoup intéressée aux pratiques d’exploitation par contrat des droits de propriété intellectuelle. Mais c’est surtout l’analyse de l’exercice unilatéral de ces droits au service de la position dominante, notamment pour la défendre ou pour la renforcer, en particulier par des pratiques d’éviction du marché, qui est très controversée de nos jours. Relativement sous-développée au contraire est l’analyse des enjeux que pose la propriété intellectuelle au contrôle des opérations de concentration. Les contributions réunies dans cette partie de l’ouvrage, s’attachant donc directement au rapport entre droit de la propriété intellectuelles et droit de la concurrence, offrent des éclairages très utiles sur des questions clés, à la fois juridiques et économiques. Or, il se peut que sur ces thèmes les insuffisances de l’approche économique actuelle, enracinée comme elle l’est dans la pensée économique néoclassique, se fassent davantage ressentir, comme on le montre très justement dans l’étude dédié aux restrictions au commerce parallèle des produits pharmaceutiques.
Le miroir scientifique de Hanns Ullrich qui sont ces Mélanges, n’auraient pas pu s’achever sans une partie consacrée au « Droit International », autre thème sur lequel s’est penché ce savant aux talents et aux intérêts multiples. La « protéiforme » mondialisation des pratiques commerciales, comme le savent très bien les lecteurs de cette revue, présente des enjeux aussi difficiles que cruciaux. Les contributions ici regroupées, tout en témoignant de cette complexité, invitent à se ressourcer à la dimension intimement éthique de toute réflexion juridique engagée, ce qui n’est pas le moindre mérite de l’ouvrage".